
21. Domanialité
Connaissez vous le délai de prescription concernant les demandes indemnitaires adressées au titre de l’occupation sans titre du domaine public ?
On se rafraîchit la mémoire avec une décision pédagogue du Conseil d’État.
Quel est le contexte?
La société SNCF, devenue la société anonyme (SA) SNCF Réseau, avait conclu avec une société un contrat relatif à l'occupation de son domaine public. Cette convention devait manifestement courir jusqu’au 31 décembre 2013.
Or, la société a continuité à occuper le domaine public de la SNCF, mais cette fois-ci sans droit ni titre.
Ce n’est qu’en juillet 2019 que la SNCF a fait constater par exploit d’huissier cette occupation sans droit ni titre.
Face à l’immobilisme de la société, la SNCF a saisi le Tribunal administratif, le 14 janvier 2020, aux fins d’enjoindre à l’occupant sans titre de quitter les lieux sans délai et sous astreinte. La SNCF a également, pour la première fois, sollicité de l’occupant sans titre qu’il soit condamné à verser à la SNCF une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de cette occupation irrégulière à compter du 1er janvier 2014.
Le Tribunal administratif a, en partie, fait droit à la demande de la SNCF, notamment concernant la demande indemnitaire pour l’occupation sans droit ni titre. Forcément insatisfait, le requérant s’est pourvu en appel, puis en cassation.
C’est au regard de cette affaire que le Conseil d’État s’est prononcé sur les règles de prescription applicables aux indemnités dues en cas d’occupation du domaine public sans droit ni titre.
Que nous apprend cette décision?
Cette décision est intéressante à plus d’un titre, puisque le Conseil d’État vient distinguer les règles de prescription applicables aux redevances d’occupation du domaine public issues de l’article L. 2321-4 du Code général de la propriété des personnes publiques et celles qui sont applicables aux indemnités d’occupation sans droit ni titre du domaine public issues quant à elles de l’article 2224 du Code civil.
Cette distinction n’est pas anodine, puisque, si dans les deux cas il s’agit d’une prescription quinquennale, le fondement et le point de départ de ces actions ne sont pas les mêmes …
Concernant les redevances d'occupation du domaine public, le Conseil d’Etat rappelle qu’elles deviennent exigibles au début de chaque période annuelle et qu'elles se prescrivent par une durée de cinq ans à compter de cette date.
Autrement dit :
En cas d’occupation régulière du domaine public, la redevance d’occupation est exigible à l’année n+1. Le début de l’année n+1 sera le point de départ du délai de prescription de l’action en recouvrement.
Concerne les règles de prescription applicables aux indemnités d'occupation sans titre du domaine public, le Conseil d’Etat rappelle que “l’occupation sans droit ni titre d'une dépendance du domaine public constitue une faute commise par l'occupant et qui l'oblige à réparer le dommage causé au gestionnaire de ce domaine par cette occupation irrégulière. L'autorité gestionnaire du domaine public est fondée à réclamer à l'occupant sans droit ni titre de ce domaine, au titre de la période d'occupation irrégulière, une indemnité compensant les revenus qu'elle aurait pu percevoir d'un occupant régulier pendant cette période. Cette indemnité devient exigible au terme de chaque journée d'occupation irrégulière”. Sauf si le délai de prescription est interrompu dans les conditions prévues aux articles 2240 (reconnaissance de dette), 2241 (demande en justice) et 2244 (mesure conservatoire et acte d’exécution forcée) du Code civil.
Autrement dit :
En cas d’occupation irrégulière du domaine public, l’indemnité d’occupation devient exigible au terme de chaque journée d’occupation irrégulière. Ainsi, le point de départ de la prescription commence à courir au lendemain du jour de l’occupation irrégulière dont on sollicite l’indemnisation.
Que faut-il retenir si on applique ces principes au cas d’espèce?
A l’appui de son analyse, le Conseil d’Etat retient que, pour l’indemnité d’occupation sans titre du domaine public, seules les dispositions de l’article 2224 du Code civil étaient applicables à l’action introduite par la société SNCF Réseau.
Dès lors, le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la CAA de Paris en ce qu’elle a admis le droit à indemnisation de la société SNCF Réseau pour l’année 2014. En effet, le Conseil d’Etat relève que la première demande d’indemnisation en raison de l’occupation irrégulière de la propriété de la société SNCF Réseau en 2014 est intervenue lors de la saisine du Tribunal administratif de Paris le 14 janvier 2020. La demande concernant l’année 2014 était donc nécessairement atteinte par la prescription.
Et la circonstance qu’un procès-verbal de constat d’huissier soit intervenu le 25 juillet 2019 est dépourvue d’effet suspensif ou interruptif, puisque cela ne rentre pas dans les conditions prévues aux articles 2240, 2241 et 2244 du Code civil.
En conclusion, on peut trouver cette solution un peu “dure” avec le propriétaire public puisque ce régime de prescription lui est moins favorable que celui des articles L. 2125-1 et L. 2321-4 du CGPPP mais il faut surtout y voir une manière de le responsabiliser…
D’ailleurs, on ne manquera pas de noter que le Conseil d’Etat valide le raisonnement de la CAA de Paris concernant l’inertie du propriétaire public à laisser perdurer une occupation irrégulière connue du domaine public. Pour le Conseil d’Etat cette inertie est constitutive d’une faute de nature à atténuer la responsabilité de l’occupant concerné.
Notre conseil pour les personnes publiques qui nous suivent :
→ si vous avez connaissance d’une occupation irrégulière de votre domaine public, n’attendez pas et agissez rapidement pour obtenir :
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la régularisation de la situation,
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ou l’expulsion de l’occupant sans titre avec, éventuellement, la remise en état des lieux,
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et/ou l’indemnisation du préjudice résultant de l’occupation sans titre
Et si l’occupant sans titre ne s’exécute pas lancer la procédure d’expulsion et l’action indemnitaire au plus tôt pour éviter une dépréciation du quantum de votre préjudice devant le juge, car l’inertie du propriétaire public justifie l’atténuation de la responsabilité de l’occupant sans droit ni titre et, donc, du montant de l’indemnité susceptible d’être allouée.